LME : les tribulations des fournisseurs de la Grande Distribution
COURIER, Lettres de France et d'Italie
Sous la pression de Bercy, six enseignes de la grande distribution
ont consenti, le 5 octobre 2010, à s'engager à mettre en oeuvre de
bonnes pratiques dans leurs relations avec les fournisseurs.
Hervé NOVELLI, secrétaire d’Etat chargé du Commerce, de
l’Artisanat, des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme, des
Services et de la Consommation a ainsi présenté lesdits engagements pris
par les professionnels du secteur de la distribution (1).
Il est ainsi rappelé que la loi de modernisation de l’économie
(LME) ayant permis à la grande distribution et à ses fournisseurs de
négocier plus librement les conditions de leurs contrats, mais a
institué en contrepartie un « garde-fou » : les relations entre
distributeurs et fournisseurs ne doivent pas faire l’objet de «
déséquilibres significatifs » (à noter sur ce point que Darty, accusé de
pratiques abusives, a demandé l’examen de la constitutionnalité de
l’article L442-6-I-2° du Code de Commerce devant le tribunal de commerce
de Bobigny, décision du 13/07/2010 ).
C’est dans ce cadre que la DGCCRF s’est rapprochée des enseignes
de la grande distribution pour examiner avec elles des voies
d’amélioration dans les relations entre distributeurs et fournisseurs.
Ainsi, les enseignes de la grande distribution se sont engagées à
mettre en oeuvre de bonnes pratiques dans trois domaines substantiels de
leurs relations avec les fournisseurs.
Il s’agit d’une part de la pratique des « entrepôts déportés » où
le fournisseur livre un entrepôt relevant d'un logisticien tiers et où
le distributeur s'approvisionne selon ses besoins. Ce dispositif peut
être générateur d'abus lorsque les charges logistiques pèsent
majoritairement sur le fournisseur ; d’autre part, des conditions de
mise en oeuvre de pénalités, où des sommes peuvent être exigées du
fournisseur sans que celui-ci ne soit en mesure d'en vérifier le grief,
et enfin de la pratique des « garanties de marge » par laquelle le
distributeur exige une compensation financière si l'objectif de chiffre
d'affaires n'est pas atteint.
En somme, les engagements pris consistent à s'interdire la pratique de « l'obligation sans cause ».
S’ils constituent des avancées notables - les bonnes pratiques
ainsi promues contribuant à améliorer la relation commerciale avec les
fournisseurs -, comment ne pas s’étonner une nouvelle fois de telles
pratiques malgré la promulgation de la LME.
Ce que ne manque pas de relever la CGPME, dans un communiqué du 6
octobre 2010, qui revient sur l’accord gouvernemental sur les
négociations industrie & commerce en titrant : « le rêve dépasse la
réalité ! » : « Il est heureux de constater que la grande distribution
entend se préoccuper de ses fournisseurs, au premier rang desquels se
trouvent de nombreuses PME, en prenant des engagements unilatéraux ! Il
n’en reste pas moins surprenant qu’il faille ce type d’accord pour «
interdire les garanties de marge » ou ne pas faire de marge quand le
fournisseur stocke ses produits chez un logisticien tiers… La vertueuse
dénonciation unilatérale de ces pratiques suffit à démontrer l’état de
dépendance du fournisseur vis-à-vis des distributeurs. Qui ne rêverait
pas de garantie de marge sur les produits qu’il achète pour les revendre
? Au pays de la grande distribution, le rêve dépasse parfois la réalité
qui fait cauchemarder les fournisseurs ».
A moins de constater une fois encore l’échec de la loi du 4 août
2008 sensée améliorer les relations commerciales, ce que semble
confirmer le rapport remis le 30 août 2010 par Jean-Claude VOLOT,
médiateur de la sous-traitance, qui propose de « compléter le dispositif
actuel par des sanctions appropriées » (quel constat d’échec !), voire
même la Commission d’Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) qui lance
une séance de rattrapage avec le groupe de travail des « Mardis de la
LME » réunissant industriels et distributeurs (2).
Rien de très surprenant quand la Présidente de la CEPC, Catherine
VAUTRIN , déclare « (…) si on n’en sort pas, il faudra bien reconnaître
que le texte est inapplicable ; c’est vrai qu’une nouvelle loi, personne
n’en veut» (3).
1 - Voir http://www.minefi.gouv.fr/directions_services/dgccrf/presse/communique/2010/dossier_presse_lme051010.pdf
ou dossier de presse http://www.economie.gouv.fr ou dossier de presse http://www.economie.gouv.fr
2 - Les « mardis de la LME » doivent ainsi réunir industriels et
distributeurs sous l’égide de la CEPC lors de cinq sessions dès le mois
de septembre 2010 pour aborder notamment les questions des stocks
déportés, des prix, des NIP (Nouveaux Instruments promotionnels), du
plan d’affaires, de la notion de « déséquilibre significatif, etc
3 -Lire à ce sujet « La LME est-elle inapplicable ? », http://www.agraalimentation.fr/
Thierry CHARLES
Docteur en droit
Directeur des Affaires Juridiques d’Allizé-Plasturgie
Membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie
et du Centre National de la Sous-Traitance (CENAST)
t.charles@allize-plasturgie.com