La procédure d’injonction de payer européenne : modalités pratiques
Durant les derniers mois, beaucoup d’entreprises ont
traversé une crise sévère et ont dû mener une politique drastique de réduction
des coûts. Cette démarche s’est également accompagnée d’une pression croissante
sur le paiement à bonne date des factures et recouvrement des créances impayées
auprès de leurs clients.
L’embellie qui s’annonce devrait permettre de relâcher quelque peu la pression
mais les dirigeants, directeurs juridiques et financiers, devront rester très
vigilent vis-à-vis de leurs partenaires et débiteurs, notamment étrangers, pour
détecter les éventuelles défaillances et agir à temps.
A ce titre, l’Union européenne a mis en place, depuis plusieurs années, une
procédure commune de recouvrement applicable aux créances exigibles dont le
paiement est incontestable : l’injonction de payer européenne (Ci-après « IPE
»).
Cette procédure encore peu appliquée, pourrait devenir un moyen fort de
persuasion des créanciers réticents. Elle se trouve toutefois en concurrence
avec les procédures locales de recouvrement. Quelle procédure préférer si vous
êtes créancier d‘une entreprise située hors de France mais en Europe et si
celle-ci ne vous paye pas ?
Cet article n’a pas pour but de dresser un état de la situation pays par pays
car les combinaisons sont très nombreuses, mais de donner les grandes lignes de
la procédure à mettre en place et des réflexes à adopter, chaque situation
nécessitant une analyse au cas par cas.
1 – Les conditions de recevabilité
L’IPE vise d’une part à simplifier et à accélérer le traitement des litiges
transfrontaliers, et d’autre part à réduire les coûts de recouvrement des
créances pécuniaires incontestées.
Cette procédure est applicable aux résidents des États membres de l’Union
européenne depuis le 12 décembre 2008, à l’exception du Danemark.
Aucun seuil minimum de créances à détenir n’est défini par le règlement
européen.
Elle ne peut être utilisée que pour assurer le recouvrement de créances
certaines, liquides, exigibles et quasi incontestables. Il est conseillé de
vérifier que cette condition est remplie pour éviter une éventuelle
contestation.
2 - L’envoi du formulaire et des pièces justificatives à la juridiction
compétente
La demande est effectuée via un formulaire type où le demandeur produit « une
description des éléments de preuve à l’appui de sa demande », en fait une
description des faits et un renvoi aux éléments justificatifs : factures,
contrats…
On trouve le formulaire « A » de demande, notamment sur le site www.greffe-tc-paris.fr/judiciaire/ipe.htm.
Attention, les langues acceptées dépendent du lieu du siège de l’entreprise et
il faut se renseigner préalablement à ce sujet. Nous conseillons de toujours
faire traduire les pièces pour éviter toute difficulté.
Le demandeur vérifiera le coût de la procédure d’IPE sur le site www.greffes.com/fr/formalites/guide-desformalites/fond_referes_requetes/injonctions_de_payer/procedure_europeenne_d_injonction_de_payer/152-445.html
et appellera idéalement le Tribunal pour savoir à quel ordre le paiement doit
être effectué.
Une fois le formulaire rempli, le demandeur l’adresse au greffe du tribunal
compétent – celui du tribunal du lieu où le défendeur a son siège social -
accompagné des pièces justificatives (généralement les factures, les bons de
commande et le contrat) et du règlement des frais.
Le plus souvent il s’agira d’un formulaire papier adressé par voie postale au
greffe du tribunal concerné, mais la pratique tend à généraliser la demande en
ligne avec paiement des frais par carte bancaire directement sur le site du
greffe.
En Angleterre et au Pays de Galles par exemple, les juridictions compétentes
pour recevoir une injonction de payer européenne sont les tribunaux de comté
(County Courts) et la Haute Cour de justice (High Court of Justice).
Pour plus de détails, pays par pays, vous pouvez consulter le site : http://ec.europa.eu/justice_home/judicialatlascivil/html/epo_information_fr.htm.
3 - L’examen de la demande
Une fois les éléments reçus et si elle est complète, le tribunal examine la
demande dans les meilleurs délais, et rend une ordonnance d’acceptation ou de
refus.
L’ordonnance d’injonction de payer, une fois délivrée, est notifiée au
demandeur, à charge pour lui d’en informer le défendeur.
L’article 13 du règlement n°1896/2006 instituant l’IPE exige la preuve de la
réception de la notification lorsque la notification au défendeur a été
effectuée par voie postale ou électronique. Il appartient au tribunal de
veiller à ce que l’injonction de payer soit signifiée ou notifiée conformément
au droit national. Dès lors, le plus souvent, la signification sera effectuée
par ministère d’huissier (ou équivalent à l’étranger) en main propre afin de
disposer d’un élément de preuve incontestable.
Précisons que le formulaire F d’opposition à l’IPE doit être annexé à l’acte de
signification. Cet acte doit également contenir l’indication du tribunal devant
lequel l’opposition doit être portée, du délai imparti et des formes selon
lesquelles elle doit être faite.
Si dans certains pays, la notification par simple dépôt dans une boite aux
lettres est admise, elle est à déconseiller.
En cas de rejet de l’IPE, le demandeur est informé des motifs. Cette ordonnance
de refus n’est pas susceptible de recours. La juridiction peut également
demander au demandeur de compléter ou rectifier sa demande.
4 - Les recours ouverts au défendeur
A réception de l’ordonnance, le défendeur peut former opposition pour contester
sa dette (au moyen du formulaire « F ») dans les 30 jours à compter de la
signification ou de la notification de l’injonction de payer.
Cette opposition doit être formée au greffe de la juridiction d’origine, soit
par récépissé soit par lettre recommandée. Il s’en suivra l’ouverture immédiate
d’une procédure au fond devant une juridiction locale (application des règles
locales et le plus souvent nécessité de prendre un conseil).
Sauf cas exceptionnels, le défendeur n’a pas le droit de demander le réexamen
de l’IPE au-delà du délai de trente jours. S’il ne forme pas opposition dans
les 30 jours, l’IPE devient exécutoire et le demandeur doit en informer la
juridiction en justifiant de la preuve de la notification / signification.
Ensuite de cela, la juridiction délivrera l’équivalent d’un « titre exécutoire
» et la décision deviendra définitive.
L’exécution sera gouvernée par le droit national de l’État membre. Il n’y aura
pas de différence à ce niveau avec une décision exécutoire rendue dans l’État
membre (application du droit local).
5 - Une procédure encore trop peu utilisée
Une étude du Greffe du Tribunal de commerce de Paris montre qu’en 2009, il y a
eu 46 demandes d’IPE (émanant de demandeurs européens). Par comparaison, le
Greffe a reçu 12700 dossiers de demande d’injonction de payer de droit
français. Ce peu d’engouement pour l’IPE peut s’expliquer par le fait que les
demandeurs préfèrent négocier plutôt que de s’exposer à des coûts de procédure
et de traduction, et surtout au risque d’une procédure d’opposition en droit étranger,
les contraignant à prendre un avocat local sans maîtrise réelle des tenants et
aboutissants de la procédure.
Il est donc essentiel de bien se renseigner sur le droit local avant d’utiliser
cette procédure, qui reste très efficace en l’absence d’opposition.
Dans certains cas, il faudra choisir entre une procédure de saisie
conservatoire qui sera plus sécurisante pour le créancier et l’injonction de
payer européenne. Une procédure de saisie nécessite le plus souvent d’initier
une action au fond et ce avant même de connaître le résultat de l’éventuelle
saisie. Dès lors, si vous avez décidé de recouvrer des sommes dues, que votre
débiteur n’a pas d’actif identifiés à saisir et qu’une action au fond ne vous
effraye pas davantage, débuter par une demande d’IPE pourrait vous permettre de
gagner un temps précieux, de prendre l’initiative et de négocier plus
facilement.
L’Europe tente donc de mettre en place un système « unifié » de règlement des
litiges en commençant par la base, qu’est l’injonction de payer. Si son intérêt
est réel, l’absence d’unification procédurale du reste du processus et
notamment par exemple en Angleterre, le fait de devoir prendre en charge les
coûts de défense (très élevés) de l’adversaire dans le cas des procédures au
fond, le rend encore fragile.
Cette voie de recouvrement nouvelle vient enrichir l’arsenal des sociétés et
suppose, pour être maîtrisée efficacement, de faire appel à un cabinet d’avocat
disposant d’un réseau de correspondants locaux développés.
Maître Alexandre Le Ninivin conseille et accompagne ses clients sur toute ces problématique au quotidien.
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