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Le blog du Credit Manager 2.0
20 avril 2011

Délais de paiement : Loi vs accords dérogatoires, le bon raisonnement ?

Par Alexandre Romi, Responsable des Affaires Juridiques

On s’en souvient tous, en France, avant la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, les délais de paiement étaient beaucoup trop longs.

L’exposé des motifs de la loi indiquait d’ailleurs très clairement que « Les délais de paiement sont, en moyenne, plus longs en France que dans les autres pays européens. Cette situation pèse sur la compétitivité des entreprises, notamment des PME, et pénalise l’investissement et la croissance. »

Pour parvenir à baisser ces délais et rejoindre ainsi la moyenne européenne, la loi, modifiant le Code de commerce, dispose dorénavant que :

« Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée. « Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d’émission de la facture. »

Toutefois, et comme l’exposé des motifs le précisait, afin de tenir compte des spécificités sectorielles il était prévu la possibilité de dérogations exceptionnelles par accord interprofessionnel, pour une durée limitée, lorsque des situations objectives liées au secteur économique le justifiaient (en particulier des délais de paiement élevés constatés en 2007 ou une rotation moyenne des stocks lente).

Les seules conditions pour que ces accords interprofessionnels soient valides étaient qu’ils devaient prévoir une convergence progressive vers le délai légal, et ne devaient pas avoir d’effet au-delà du 31 décembre 2011. Il fallait aussi qu’ils soient reconnus comme satisfaisant à des critères objectifs définis par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

C’est ainsi l’article 21 III de la loi disposait :

« Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l’article L. 441-6 du code de commerce, sous réserve :

« 1° Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

« 2° Que l’accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l’application d’intérêts de retard en cas de non-respect du délai dérogatoire fixé dans l’accord ;

« 3° Que l’accord soit limité dans sa durée et que celle-ci ne dépasse pas le 1er janvier 2012.

« Ces accords conclus avant le 1er mars 2009, sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis de l’Autorité de la concurrence. Ce décret peut étendre le délai dérogatoire à tous les opérateurs dont l’activité relève des organisations professionnelles signataires de l’accord ».

De l’importance stratégique du point de départ et de la méthode de computation des délais de paiement légaux

On le comprend bien, en fonction du moment où est émise la facture, il peut être plus avantageux pour le client de se voir appliquer un délai de paiement de 45 jours fin de mois ou de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture.

Prenons ainsi le cas d’une facture émise le 10 du mois.

Si le règlement doit se faire à 60 jours date de facture, cela nous amène au 10 du mois M + 2.

En revanche, un délai de paiement à 45 jours fin de mois entrainerait un règlement au plus tard le au 15 du mois M + 2.

Inversement, une facture émise le 30 du mois amènerait au 30 du mois M + 2 en cas d’application d’un délai de paiement de 60 jours à compter de la date démission de la facture mais toujours au 15 du mois M+2 en cas d’application du délai de 45 jours fin de mois, soit 15 jours de moins par rapport à l’autre possibilité.

L’accord dérogatoire : toujours un avantage pour le client ?

On le comprend bien, passer du jour au lendemain d’un délai de paiement constaté de 90 jours fin de mois, par exemple, à 45 jours, pouvait pour certains secteurs économiques être fatal.

La loi a donc mis en place, sous certaines conditions, la possibilité pour les acteurs de certaines filières de déroger à la loi pour une durée déterminée, en arrêtant des délais de paiement supérieurs, permettant ainsi aux professionnels situés en aval de ne pas être étranglés au niveau de leur trésorerie.

Mais de la même façon que le point de départ et la méthode de computation des délais légaux de paiement peuvent être plus ou moins avantageux selon les hypothèses, il apparaît que dans certaines situations, d’aucuns préfèreraient se voir appliquer la loi plutôt que l’accord dérogatoire.

La raison est la suivante : avec un accord dérogatoire prévoyant, par exemple, un délai de paiement maximum de 50 jours fin de mois (supérieur donc au délai légal de 45 jours) et en reprenant l’hypothèse d’une facture émise le 30 du mois, on aurait une date de règlement au plus tard au 20 du mois M+2.

Cependant, rappelons-nous que si c’était le délai de paiement légal de 60 jours fin de mois qui était choisi, la date de règlement pourrait être le 30 du mois M+2, soit 10 jours plus tard que ce que permet l’accord dérogatoire !

La démonstration paraît évidente au premier abord et pose clairement la problématique de savoir si l’on peut refuser d’appliquer un accord que l’on a signé sous prétexte qu’il peut être perçu comme plus contraignant que la loi, alors qu’il devrait être plus souple.

La particularité de la facturation mensuelle dite facturation récapitulative

Si le point de vue du client est important, celui du fournisseur l’est tout autant.

Dans certains secteurs, les acteurs économiques, du fait de livraisons de produits tout au long du mois, facturent une seule fois par mois avec une facture qui récapitule l’ensemble des livraisons réalisées.

C’est d’ailleurs en raison de ces facturations mensuelles que la loi a laissé la faculté d’appliquer les 45 jours fin de mois plutôt que les 60 jours calendaires, permettant, de ce fait, qu’une livraison intervenant en début de mois, mais dont la facture ne serait émise qu’en fin de mois, ne soit pas réglée à un délai tel que l’esprit de la loi ne soit plus respecté.

En effet, prenons le cas d’une première livraison le 5 du mois suivie de nombreuses autres, si la facture récapitulative de toutes les livraisons du mois est adressée, logiquement, le 30 du mois, en appliquant un délai de 45 jours fin de mois, la livraison du 5 ne pourra pas être réglée au-delà du 15 du mois M+2, soit 70 jours après.

En revanche, en appliquant un délai de paiement de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, pour une livraison effectuée le 5 du mois, on aurait un règlement au 30 du mois M + 2, soit 85 jours plus tard !

La facturation mensuelle récapitulative doit donc logiquement être corrélée à un délai de paiement de 45 jours fin de mois plutôt qu’à un délai de paiement à compter de la date d’émission de la facture, qui, dans ce cas précis, n’est pas adaptée et ne correspond pas à la réalité chronologique de la livraison.

Dès lors, cette épineuse question du caractère présupposé avantageux de la loi par rapport à un accord dérogatoire ne peut être analysée que si l’on tient compte du contexte et des pratiques existants dans le secteur concerné.

L’application obligatoire de l’accord dérogatoire

On s’en rend bien compte, l’argument selon lequel un accord dérogatoire fixant un délai de paiement à compter de la fin de mois pourrait ne pas être applicable s’il paraît être moins favorable que le délai légal de 60 jours à compter de la date d’émission de la facture est, dans le cas des secteurs où se pratique la facturation mensuelle, un argument fallacieux qui ne servirait qu’à dévoyer la loi.

Comparons donc ce qui est comparable, autrement dit mettons en parallèle le mode de règlement choisi dans l’accord dérogatoire avec celui figurant dans la loi.

De plus, gageons que cette dimension du problème a bien été pris en considération par le Conseil de la concurrence lorsqu’il a rendu son avis, recueilli préalablement à la parution du décret rendant obligatoire les dispositions de l’accord dérogatoire aux parties signataires de l’accord.

Toutefois, en dehors du cas particulier des facturations mensuelles, qu’en est-il ?

Peut-on décider de ne plus appliquer un accord dérogatoire, dont on a été signataire, et qui a été mis en place par décret, parce que, soudainement, ses dispositions nous apparaissent comme moins favorables que la loi ?

La réponse est à chercher sur le plan purement juridique.

Déjà, sur le plan des principes, il est utile de rappeler que conformément à l’article 1134 du Code civil :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

« Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

« Elles doivent être exécutées de bonne foi ».

Sur un plan plus particulier, le décret, de par sa nature, à une place dans le corpus juridique qui fait qu’on ne peut l’écarter sous prétexte qu’il ne nous convient pas.

Ainsi, quelle que soit l’hypothèse envisagée et quel que soit le contexte économique du secteur où s’applique l’accord dérogatoire, ce dernier est d’application obligatoire.

A noter que les délais convenus dans cet accord seront, en tout état de cause, toujours plus favorables que le délai légal de 30 jours, qui est celui ayant vocation à s’appliquer lorsque les parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord (cf. article L. 441-6 alinéa 4 du Code de commerce).

Alexandre ROMI - Responsable Affaires Juridiques

alexandreromi@hotmail.fr

Merci à lui de nous à avoir autorisé à reprendre cet article afin de vous le faire partager.

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Commentaires
J
En effet, je trouve cette petite analyse fort instructive et cela me rassure quant à la complexité de l'application de la LME depuis son entrée en vigueur.<br /> Merci à son auteur.<br /> Si vous avez aussi des problèmes dans l'application de la fameuse loi LME, je serais heureux de partager avec vous.<br /> Très cordialement
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